06 junho 2011

Où commence, mais où commence quoi?


des tasses de café aux galaxies por lll_otto_ll
Peut-être qu'un objet est ce qui permet de relier, de passer d'un sujet à l'autre, donc de vivre en société, d'être ensemble. Mais alors puisque la relation sociale est toujours ambigüe, puisque ma pensée divise autant qu'elle unit, puisque ma parole rapproche par ce qu'elle exprime et isole par ce qu'elle tait; puisqu'un immense fossé sépare la certitude subjective que j'ai de moi-même et la vérité objective que je suis pour les autres. Puisque je n'arrête pas de me trouver coupable alors que je me sens innocent; puisque chaque événement transforme ma vie quotidienne; puisque j'échoue sans cesse à communiquer, je veux dire à comprendre, à aimer, à me faire aimer, et que chaque échec me fait éprouver ma solitude;

Puisque, puisque je ne peux pas m’arracher à l’objectivité qui m’écrase ni a la subjectivité qui m’exile, puisqu’il ne m’est pas permis ni de m’élever jusqu'à l’Etre ni de tomber dans le néant, il faut que j’écoute, il faut que je regarde autour de moi plus que jamais,le monde, mon semblable, mon frère...
Le monde seul, où aujourd'hui les révolutions sont impossibles, où des guerres sanglantes me menacent, où le capitalisme n’est plus très sûr de ces droits, et la classe ouvrière en recul; où les progrès foudroyant de la science donnent au siècle futur une présence obsédante, où l’avenir est plus présent que le présent, où les lointaines galaxies sont à ma porte, mon semblable, mon frère..
Où commence, mais où commence quoi? Dieu créa les cieux et la terre bien sur, mais c’est un peu lâche et facile, on doit pouvoir dire mieux, dire que les limites du langage sont celles du monde, que les limites de mon langage sont celles de mon monde, et qu’en parlant je limite le monde, je le termine et que la mort un jour logique et mystérieux viendra abolir un jour cette limite et qu’il n’y aura ni question ni réponse, tout sera flou mais si par hasard les choses redeviennent nettes ce ne peut être qu’avec l'apparition de la conscience, ensuite, tout s’enchaine...

Jean-Luc Godard